Entretien avec Axel Kahn, généticien
"Il y a risque de clonage humain"

Le 18 mars 1997
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Kahn, généticien à l'Inserm, est membre du Comité national consultatif d'éthique.

Je pense que c'est un risque. Car je suis convaincu qu'il y aura une demande sociale en faveur du clonage, dans certains cas de stérilité. Pour une raison simple: nos sociétés accordent une importance croissante à la filiation biologique, à la transmission du patrimoine héréditaire, aux gènes. Au détriment de la filiation culturelle, intellectuelle, du monde de l'esprit. On en vient même à considérer que la seule filiation qui pose un problème éthique, c'est la filiation qui n'est pas biologique. Le phénomène est absolument nouveau ­ seules les lignées royales ont accordé un tel poids à la filiation biologique. Pourquoi? L'origine de cette tendance est complexe, mais on peut résumer en constatant qu'on est dans la marée montante de la mondialisation de la culture, de l'homogénéisation des valeurs, de la pensée unique. De fait, chacun peut s'interroger: si ma culture vaut celle de mon voisin et que, de surcroît, je ne transmets pas mes chromosomes, que vais-je donc donner à mon enfant? En quoi sera-t-il le mien?

C'est déjà pour répondre à cette demande qu'on en arrive à utiliser des spermatides ­ des spermatozoïdes immatures ­ en fécondation in vitro pour offrir un enfant aux hommes qui n'ont pas de spermatozoïdes. Et cela, alors même que les risques de cette technique n'ont pas été évalués. Dans un tel contexte de filiation biologique "à tout prix", le clonage pourrait tout à fait être légitimé. On accepte aujourd'hui de prendre une cellule testiculaire d'un homme pour féconder un ovocyte de sa femme. Un autre homme viendra qui n'aura pas de gamètes du tout. Il pourra dire: "Pourquoi lui et pas moi?" Seule solution: le cloner. Après tout, l'enfant sera bien celui du couple: filiation du père par la cellule de peau et ses gènes, filiation de la mère, parce qu'elle aura donné le cytoplasme de son ovocyte, son ventre, son sein... Je suis persuadé qu'il y aura une telle pression. Ian Wilmut a d'ailleurs déjà reçu plusieurs dizaines de demandes qu'il a évincées...

D'un point de vue symbolique, le clonage est révolutionnaire, il marque une rupture fondamentale avec tout ce qui s'est fait jusqu'à présent en procréation assistée. En me clonant, je décide de ce que sera l'enfant, dans son physique et dans ses gènes. C'est l'assujettissement de la forme d'un être à venir à la volonté d'un être existant. Cela change du tout au tout les relations entre les individus. Pour un croyant, c'est impie: seul Dieu peut faire un être à son image. Pour le laïque que je suis, c'est inacceptable: personne ne m'a voulu tel que je suis, c'est le fondement de mon autonomie.

Peut-être clonera-t-on des gens, ici ou là. Mais là n'est pas le problème. Ce qui serait dangereux, c'est qu'une société dise: "Après tout, oui, on peut cloner, dans tel cas." Il faut mener un combat moral pour qu'une interdiction soit prononcée au niveau international, sur la base d'une réflexion philosophique. Il faut, par exemple, que l'ONU prononce cet interdit. Le reste ne sera que transgression.

Lire également les propos d'Axel Kahn dans la Médecine du XXI^e siècle, des gènes et des hommes, éd. Bayard, 1996, et son point de vue dans Nature du 27 février 1997.

ADN. Molécule qui porte les gènes et se trouve dans le noyau des cellules.

Gamètes. Cellules sexuelles: ovule (ou ovocyte) et spermatozoïde.

Fivete. Fécondation in vitro et transfert d'embryon, souvent abrégé en FIV.

Parthénogenèse. Mode de reproduction répandu chez les invertébrés. Les femelles s'autoreproduisent, leur ovule se développe en embryon sans mâle.

Spermatide. Spermatozoïde dit "immature" car il n'a pas fini son évolution en spermatozoïde apte à féconder un ovule.

Zygote. Ovule qui vient d'être fécondé et se développe, en se divisant, en embryon