L'histoire du développement économique et social de certains peuples et de certaines régions du globe nous apporte également de multiples témoignages de l'influence néfaste de la maladie. De savants His toriens ont affirmé que le paludisme avait été une des causes déterminantes du déclin des civilisations grecques et latines et c'est un fait que la Campagne Romaine est restée trop longtemps un des plus éloquents exemples d'une terre désolée par les fièvres.
En Afrique, en Asie, comme en Amérique, les explorateurs, les voyageurs, les missionnaires ont payé un lourd tribut à la malaria qui s'est révélée capable d'anéantir des colonies naissantes et de ruiner des comptoirs commerciaux. La mise on valeur et le peuplement des pays neufs ont maintes fois été retardés par le paludisme; ce fut par exemple le cas pour certaines régions du sud des Etats-Unis, en Algérie la fameuse plaine de la Mitidja a joui d'une triste célébrité comme tombeau de ses colons. La réalisation de grandes entreprises telles que le per cement des isthmes de Suez et de Panama, la cons truction de voies ferrées en Amérique, aux Indes, en Afrique noire ont été endeuillées par les ravages du paludisme dans les rangs des travailleurs. Dans les pays infestés, les remaniements de terrains provoqués par le tracé de nouvelles routes ont eu souvent pour Conséquence une augmentation massive des cas de paludisme.
Mais l'histoire du paludisme n'est pas seulement la longue liste de ses méfaits c'est aussi le récit du progrès de nos connaissances Concernant la nature de la maladie et les moyens de la combattre.
Pendant bien longtemps les médecins n'ont dis posé d'aucun traitement efficace des fièvres pain paludéennes. Ce n'est que vers le milieu du XVIIe siècle que l'on apprend à combattre les étonnantes propriétés thérapeutiques d'une poudre préparée avec l'écorce d'arbres d'Amérique da Sud : les quinqui nas. Ces propriétés étaient connues des Indiens et la tradition vent que la poudre de quinquina ait été introduite en Europe, et d'abord en Espagne, par la femme du vice-roi du Pérou, comtesse El Cinchon, qui avait pu en apprécier personnellement les effets bienfaisants. La poudre de quinquina, appelée aussi poudre des Jésuites car ces religieux s'occupaient de son importation, Connut des fortunes diverses z succès puis discrédit, mais elle permit à des observateurs attentifs de classer les fièvres suivant son action et de décrire les fièvres paludéennes sons le nom de fièvres à quinquina. Au XVIIIe siècle, l'arbre à quinquina est étudié par La Condamine et Linné le baptise Cinchona; les Hollandais le cultivent on grand à Java et ils devaient acquérir ainsi un véri table monopole de la quinine. tn 1820 en effet, les Français Pelletier et Caventon isolent de la poudre de quinquina deux alcaloïdes: la cinchonine et la quinine, et les combinent à des acides. La quinine ne tarde pas à se révéler un médicament bien supérieur au produit brut dont elle est extraite et son emploi se généralise rapidement. Un médecin de l'armée d'Afrique, Maillot, appelé à traiter de nombreux paludéens à l'hôpital militaire de Bône, règle la façon d'administrer la quinine, précise les doses à employer et démontre qu'elle constitue effective ment le traitement spécifique du paludisme.
Disposer enfin d'un médicament actif c'était certes un progrès considérable mais on ignorait encore l'origine de la maladie et son mode de transmission Le paludisme était communément attribué à des miasmes, an mauvais air "malaria" et si certains avaient remarqué la fréquence de la maladie dans les régions marécageuses infestées de moustiques, il ne s'agissait là que d'une notion vague, d'une im pression sans fondement scientifique. En vingt ans les travaux de médecins et de zoologistes français italiens et anglais, exécutés en Algérie, en Italie el aux Indes, démontrent que le paludisme est une affection parasitaire propagée par des moustiques. Le point de départ de ces fructueuses recherches est la mise en évidence à Constantine par un médecin militaire français, Alphonse Laveran, au cours de l'automne 1880, d'un parasite microscopique dans le sang des paludéens. La découverte de Laveran, que l'on peut à bon droit qualifier de sensationnelle, se heurte d'abord au scepticisme ca l'opinion médicale, influencée par les travaux de Pasteur, aurait plus facilement admis le rôle d'un microbe que celui de ce mystérieux animalcule. Cependant il faut bientôt reconnaître l'exactitude des affirmations de Laveran et dès 1885, Golgi peu observer une partie du cycle évolutif de l'hématozoaire chez l'homme.
Restait à découvrir la façon dont l'hématozoaire s'introduit dans l'organisme humain. L'Anglais Patrick Manson avait montré que la filaire de Ban croft, ver parasite des vaisseaux lymphatiques, étai inoculée sous forme larvaire à l'occasion de piqûre de moustiques. En 1884, Laveran avait soupçonné l'intervention de semblables insectes dans la transmission de la malaria mais it appartenait à Ronald Ross, médecin de l'armée des Indes, d'en apporter une première confirmation, à partir de 1895, grâce à de patientes études poursuivies sur le paludisme des oiseaux, études qui devaient également lui per mettre de suivre le cycle sexué des hématozoaires. En 1898, des savants italiens, dont Grassi, démon trent que le paludisme humain se transmet comme le paludisme aviaire; ils prouvent que le vecteur de l'hématozoaire est bien un moustique et qu'il ap partient au genre Anopheles, ils décrivent les transformations du parasite dans le corps de l'insecte et ils réussissent à provoquer la maladie chez un vo lontaire par la piqûre d'anophèles infestés. Deux ans plus tard les expériences de Sambon et de Low, inspirées par Manson et exécutées dans la Campagne Romaine, confirment de façon définitive que la piqûre du moustique est le seul mode de pénétration de l'hématozoaire chez l'homme et Manson lui-même met le point final à toute cette série de re cherches en inoculant le paludisme à son fils, en Angleterre, au moyen de moustiques qui lui sont envoyés d'Italie.
A partir de 1900 nous entrons dans la période des recherches modernes sur le paludisme, recherches fécondes en résultats thérapeutiques et prophylac tiques auxquelles nous devons de pouvoir mainte nant lutter efficacement contre ce redoutable fléau. Nous nous contenterons de citer les faits d'impor tance capitale.
Un médecin autrichien, Wagner von Jauregg, constate en 1917 que l'inoculation volontaire du paludisme est capable d'améliorer l'état de malades présentant certaines complications nerveuses de la syphilis. Cette méthode a été appliquée dans le monde entier son. le nom de malariathérapie. En dehors de son intérêt curatif elle a permis, par l'obser vation attentive des sujets ainsi traités, d'approfondir nos connaissances sur la biologie du paludisme.
A partir de 1925 la quinine cesse d'être pratiquement le seul médicament du paludisme. En effet, les chimistes préparent et mettent à la disposition du médecins toute une série de produits connus sous le nom général d'antimalariques de synthèse, qui font preuve d'une remarquable efficacité thérapeutique et prophylactique. La liste des antimalariques de synthèse n'a pas cessé de s'allonger depuis un quart e siècle pour le plus grand profit de la lutte antipaludique.
Pendant la deuxième guerre mondiale, débute une véritable révolution dans la prophylaxie des mala dies infectieuses ou parasitaires transmises par les insectes. La découverte des insecticides de contact, dont le chef de file est le dichioro-diphényl-trichio réthane (D. D. T.), apporte aux malariologues une arme nouvelle d'une extraordinaire puissance, comme elle bouleverse la lutte contre d'autres redoutables affections épidémiques telles que la fièvre jaune ou le typhus exanthématique. En ce qui concerne le paludisme, le pouvoir protecteur des antimalariques de synthèse, combiné à l'action destructrice des insecticides de contact, nous permet de mettre au point un système cohérent, à la fois offensif et défensif, auquel nous devons les heureux résultats des campagnes d'éradication.
Mais à l'heure actuelle les recherches importantes ne sont pas seulement d'ordre thérapeutique ou prophylactique; certaines phases du cycle évolutif de l'hématozoaire dans l'organisme humain sont de connaissance récente et l'on s'efforce d'en préciser les modalités.