Le remplacement des gènes

Le remplacement des gènes

… ou étude d'organismes génétiquement modifiés.

 

Tout le monde le sait: chaque cellule de notre organisme a dans son noyau des instructions qui déterminent son fonctionnement. Le jeu d'instructions (on parle de génome) est identique dans toutes les cellules, mais seules certaines d'entre elles sont exécutées. Les cellules du foie, par exemple, n'expriment pas les mêmes caractéristiques que les cellules de la peau. Le jeu d'instructions cellulaires contient toutes les informations pour qu'une cellule forme progressivement un fœtus, un nouveau-né puis un adulte. Nous sommes tous uniques car l'ensemble des instructions qui détermine beaucoup de nos particularités physiques et comportementales est légèrement différent chez les divers individus.

Cet extraordinaire manuel d'instructions, le génome, est écrit avec quatre "lettres" de base (nucléotides) adénylate (A), cytidilate (C), guanylate (G) et thymidilate (T). L'ordre de ces nucléotides dans l'ADN code l'information génétique. -tout comme l'ordre des lettres de l'alphabet donne leur sens aux mots. Chez l'homme ou chez la souris, le génome contient trois milliards de nucléotides. Si l'on écrivait les lettres qui représentent les nucléotides à raison de 3 000 caractères par page, il faudrait 1000 livres de 1000 pages chacun.

La mutagenèse dirigée permet de changer spécifiquement une "lettre" (nucléotide), une "phrase" (séquence nucléotidique) ou même quelques "paragraphes" (gènes) de ce texte dans chacune des cellules d'une souris vivante. En évaluant les conséquences de telles modifications, nous explorons ainsi le programme génétique des mammifères. Quand nous changeons une séquence nucléotidique d'un gène, nous en perturbons la fonction. Ceci permet de connaître le processus biologique dans lequel le gène est impliqué.

Les informations tirées de telles expériences de mutation dirigée chez la souris éclairent la biologie humaine, car l'homme et Mickey … heu, … la souris partagent plus de 99 pour cent de leurs gènes. C'est ainsi que l'on étudie aujourd'hui les mécanismes du développement embryonnaire humain, ainsi que la formation et le fonctionnement du système immunitaire ou encore le fonctionnement du cerveau et comment se déclenchent certaines maladies génétiques. Aujourd'hui on reproduit par mutagenèse dirigée des maladies humaines chez la souris, tels la mucoviscidose, le cancer ou l'athérosclérose.

L'homme disposant d'environ 200 000 gènes dont on ne connaît la fonction que d'un très petit nombre, il s'agit là d'un travail de fourmi !!

Schéma gène => protéine mutée => déficience

I. DES MUTATIONS CIBLÉES sont obtenues par insertion d'un gène muté (le segment vert à gauche du schéma ci-contre)

dans l'ADN d'une cellule. Le gène anormal remplace le gène original sain (le fragment orange à droite) sur un des chromosomes. A partir des cellules dont les gènes sont ainsi modifiés, les généticiens produisent des souris qui portent des mutations génétiques particulières. Dans l'une des expériences, le gène étudié était le gène int 2 : les souris qui portaient un tel gène muté avaient une queue anormale, incurvée, et des troubles de l'équilibre (ci-dessus) ; les généticiens ont déduit de cette expérience que le gène int 2 participe au développement de la queue et de l'oreille interne.

La mutagenèse classique a été utilisée pour étudier l'ADN d'un organisme unicellulaire - relativement simple à étudier (une bactérie ou une levure). Il faut selon cette technique exposer un milliard de ces cellules à des substances mutagènes. En choisissant la dose correcte de ces substances, on sélectionne des bactéries dont l'ADN qui ne se duplique plus. Comme la duplication de l'ADN est un mécanisme complexe, qui nécessite plus d'une centaine de gènes, il faut un nombre considérable cellules pour trouver tous les gènes indispensables à cette duplication. Une fois ces gènes identifiés, on précise leur rôle dans la duplication de l'ADN : certains déclenchent la réplication de l'ADN, d'autres règlent la vitesse du recopiage, d'autres encore contrôlent le phénomène.

Cette méthode a été appliquée aux organismes pluricellulaires (plus complexes); notamment la mouche du vinaigre, Drosophila melanogaster. Toutefois, même sur ces organismes pluricellulaires relativement simples, l'identification de tous les gènes qui participent a un mécanisme biologique précis est beaucoup plus délicate.

Une des raisons de cette difficulté est la taille du génome; le génome de la bactérie Escherichia coli contient 3 000 gènes, tandis que celui de la drosophile en compte plus de 20 000, et celui de la souris plus de 200 000. Plus les gènes sont nombreux, plus les interactions entre gènes se multiplient et plus les études génétiques sont complexes. Les études de mutagenèse classique ne peuvent porter sur autant d'individus pluricellulaires qu'avec les organismes unicellulaires : on identifie aisément des mutants particuliers dans un population d'un milliard de bactéries ou de levures mutées, mais comment élever seulement 100 000 drosophiles ou 1 000 souris mutantes?

Aux difficultés pratiques d'identification des gènes et d'étude de leur fonction s'ajoute la complexité de la constitution du génome: la plupart des organismes pluricellulaires sont diploïdes. Pour créer des animaux homozygotes mutés, il faut croiser des parents qui ont chacun une copie mutée du gène; un quart de la progéniture issue d'un tel croisement hérite de deux copies mutées du gène. Cette méthode donne les animaux recherchés, mais elle est longue.

 

La recombinaison homologue.

En dépit de ces difficultés, l'identification des mutations responsables d'anomalies est la meilleure méthode pour identifier les mécanismes biologiques.

On commence souvent les études en inactivant le gène étudié, afin d'évaluer les conséquences de l'absence de la protéine qu'il code normalement. Parfois les protéines participent à plusieurs mécanismes biologiques pour préciser les fonctions du gène, on doit alors introduire des mutations plus subtiles, qui ne perturbent qu'un des rôles de la protéine. On envisage même d'introduire dans les gènes un régulateur agissant pendant le développement embryonnaire ou postnatal de la souris. Dans un embryon de souris, par exemple. Si on inhibait un gène qui commande la création et le fonctionnement correct d'une série de neurones, les neurones ne se formeraient pas et l'on ne pourrait pas déterminer l'activité de ce gène chez l'adulte. En revanche, à l'aide d'un interrupteur on pourrait laisser fonctionner le gène pendant le développement embryonnaire, de sorte que les neurones se formeraient normalement. puis bloquer le gène chez l'adulte afin de détecter se fonction.

 

La micro-injection

A la fin des années 1970, on commençait par étudier l'injection d'ADN dans le noyau de cellules de mammifères à l'aide d'aiguilles de verre extrêmement fines. Le déplacement de ces aiguilles, contrôlé au microscope, était commandé par des micromanipulateurs hydrauliques. La technique était efficace, puisqu'on parvenait à introduire, dans une cellule sur cinq environ, de l'ADN fonctionnel qui était transmis aux cellules filles lors des divisions cellulaires.

On fut surpris d'observer que ces molécules s'introduisaient parfois simultanément au même endroit et dans la même orientation.

En 1980, Mario Capecchi demanda le financement d'un programme d'étude des techniques de mutations ciblées des gènes, mais les rapporteurs rejetèrent me pro- position. perce qu'ils croyaient très improbable que la séquence d'ADN introduite trouve son homologue parmi les innombrables séquences du génome.

Malgré ce refus, il joua son va-tout, consacrant au projet refusé des fonds préalablement accordés pour d'autres projets. Si l'expérience échouait le laboratoire était ruiné. Heureusement elle a réussi et, en 1984, lors du dépôt d'une nouvelle demande de crédits pour poursuivre l'étude des mutations ciblées, ils avaient déjà démontré le faisabilité de la méthode, et bien des collègues qui avaient refusé le premier projet ont fait preuve d'humour en acceptant la demande et en concluant "Nous sommes heureux que vous n'ayez pas suivi nos conseils."

Comment réalise-t-on des mutations dirigées? D'abord on isole le gène à étudier et on le multiplie à l'aide de cultures de bactéries. On obtient ainsi un fragment d'ADN qui contient uniquement le gène étudié. Puis on modifie la séquence du gène afin d'obtenir la mutation voulue. Ce gène modifié est le vecteur de criblage. On introduit alors ce dernier dans le noyau de cellules, où il forme un complexe avec les protéines de la machinerie de recombinaison homologue. Ces protéines l'apparient à le séquence homologue du génome et remplacent cette séquence originale par le séquence introduite.

 

La sélection des gènes

Toutefois ce remplacement ciblé n'a lieu que dans une petite proportion des cellules traitées et, le plus souvent, le vecteur de criblage s'insère au hasard dans le génome ou ne s'intègre pas du tout; on doit donc identifier les cellules ou la recombinaison homologue a bien eu lieu une cellule sur un million environ incorpore le gène de remplacement au bon endroit.

La recherche des cellules modifiées utilise des "marqueurs de sélection", introduits dans le vecteur de ciblage. Les marqueurs "positifs" favorisent la croissance des cellules qui contiennent les vecteurs correctement placés dans le génome ou non. Au contraire, les marqueurs de sélection "négatifs" favorisent l'élimination de le plupart des ccllules qui ont incorporé le vecteur de criblage au hasard.

Le marqueur positif que l'on utilise généralement est le gène de résistance à la néomycine flanqué de segments d'ADN également présents dans le gène cible. Le marqueur négatif, le gène codant le thymidine kinase du virus de l'herpès, est placé à une extrémité du vecteur de criblage. Au cours de la recombinaison homologue, les deux segments du gène injecté encadrant le gène de résistance à la néomycine remplacent le gène homologue sur le chromosome cible. Le gène de la thymidine kinase situé à l'extérieur de la zone de recombinaison homologue n'est pas intégré au chromosome et il est dégradé par 1a cellule. Cependant, lorsque le vecteur de criblage s'introduit de façon inappropriée, il conserve la séquence codant pour la thymidine kinase. Enfin lorsque l'insertion n'a pas lieu, le vecteur et les deux marqueurs sont absents.

 

Pour sélectionner les cellules où la mutation ciblée a eu lieu, on cultive toutes les cellules dans un milieu qui contient à la fois un analogue de la néomycine et une substance qui détruit le virus de l'herpès, le ganciclovir. L'analogue de la néomycine détruit les cellules dépourvues du gène de résistance à la néomycine, c'est-à-dire celles qui n'ont pas intégré l'ADN vecteur. Le ganciclovir lui, détruit les cellules qui contiennent le gène du virus de l'herpès, c'est- à-dire celles qui ont intégré le vecteur au hasard. Ainsi, seules les cellules qui contiennent le "marqueur de sélection positif" (le gène de résistance à la néomycine) et qui ne contiennent pas le "marqueur de sélection négatif" (le gène du virus de l'herpès) se multiplient.

Produisants des cellules souches où l'une des copies d'un gène donné contient une mutation particulière, on introduit ensuite ces cellules dans des embryons de souris qui sont ensuite réintroduits dans des souris gestantes et qui se développent jusqu'à la naissance. Quelques-unes de ces souris produisent des spermatozoïdes dont le génome contient la mutation étudiée an croisant ces souris avec des souris normales. on obtient des souriceaux hétérozygotes pour la mutation, c'est-à-dire dont toutes les cellules contiennent un exemplaire muté du gène étudié.

Généralement cas animaux hétérozygotes se développent normalement, parce que le second exemplaire du gène, normal, pallie les carences du gène muté. Toutefois, par le croisement d'animaux hétérozygotes, nous obtenons des souris homozygotes dont les deux exemplaires du gène étudié sont mutés. De tels animaux présentent des anomalies qui révèlent les fonctions normales du gène.

Cette description rapide masque bien des difficultés. Nous commençons par injecter les cellules souches modifiées dans des embryons au stade blastocyste, c'est-à-dire avant qu'ils ne soient attachés à la paroi utérine de la mère. Comme nous observons la couleur de la peau des nouveau-nés pour savoir si l'expérience se déroule comme prévu, nous choisissons des blastocystes qui se développent an souriceaux noirs tant qu'ils n'ont pas intégré les cellules souches modifiées, lesquelles imposent une couleur brune.

 

En effet, les cellules souches sont isolées d'une souris brune qui portent deux copies du gène agouti. Une seule copie de ce gène suffit à produire une couleur brune parce qu'il provoque le dépôt d'un pigment jaune près du pigment noir des poils (la production des pigments eux-mêmes dépend d'autres gènes). Nous intégrons nos cellules souches à des blastocystes qui donneraient normalement des souris noires (les souris acquièrent un pelage noir lorsque le gène agouti hérité des deux parents est défectueux). Ensuite, nous laissons les embryons contenant les cellules souches modifiées se développer jusqu'à leur terme dans la mère porteuse.

Quand tout se déroule comme prévu, les cellules souches modifiées se multiplient, transmettant à leurs descendantes des copies de tous leurs gènes. Ces cellules se mélangent à celles de l'embryon et participent à la formation de la plupart des tissus de la souris. Les nouveau-nés sont des chimères: ils sont composés de cellules dérivées des cellules souches étrangères et de cellules issues de l'embryon d'origine.

Shéma

2. LE SOURICEAU NOUVEAU-NÉ représenté en haut à gauche porte une mutation spécifique dans ses deux exemplaires du gène HoxA 3, Son corps est plus courbé que celui d'un souriceau normal (le second en partant de ta gauche). En comparant des coupes de tissus de souris mutantes (au centre droit) et normales (à l'extrême droite), on constate que de tels mutants n'ont pus de thymus et que leur glande thyroïde est anormalement petite. Ces anomalies montrent que le gène HoxA 3 est indispensable au développement des tissus et des organes qui proviennent d'une bande étroite de cellules (en couleur sur le schéma ci-contre) présente dans les tout jeunes embryons.

 

Nous reconnaissons les embryons chimériques aux taches brunes qui parsèment leur pelage noir. Quand un souriceau a un pelage complètement noir, c'est qu'il ne contient pas de gène agouti, donc pas de cellules dérivées des cellules souches modifiées.

En se contentant d'observer ces chimères, on ne sait pas si les cellules souches ont formé des cellules germinales. qui transmettent la mutation dirigée aux générations ultérieures. Aussi devons-nous produire des souris hétérozygotes qui contiennent une copie de la mutation dans toutes leurs cellules nous croisons les souris chimériques mâles avec des femelles dépourvues du gène agoitti. Les jeunes issus de ce croisement sont bruns si le spermatozoïde dont ils sont issus provient d'une cellule souche modifiée (parce que de tels spermatozoïdes portent un gène agouti); en revanche, ils sont noirs si le spermatozoïde dont ils sont issus provient de l'embryon receveur.

Ainsi nous savons que les souriceaux bruns de seconde génération portent les gènes des cellules souches modifiées. En croisant ces souris brunes, une fois adultes, avec des souris hétérozygotes de la même portée, on obtient des souris qui portent deux exemplaires mutés du gène étudié. Afin de ne croiser que des souriceaux bruns, qui ont effectivement un exemplaire muté de ce gène, nous devons identifier les hétérozygotes qui ont un exemplaire du gène muté : nous examinons directement leur ADN. Puis, chez les animaux homozygotes. nous analysons les anomalies anatomiques. physiologiques ou comportementales.

 

Embryogenèse et maladies génétiques

Si l'étude des gène s homéotiques de la drosophile a fait notablement progresser l'embryologie (voir Les gènes du développement, par William MacGinnis et Michael Kuziora, Pour la Science, avril 1994), de nombreuses questions subsistent pourquoi la drosophile a-t-elle seulement huit gènes Fox, tandis que les souris et les hommes en ont … 38? La multiplication des gènes Fox a-t-elle joué un rôle au cours du passage des invertébrés aux vertébrés en fournissant une machinerie supplémentaire nécessaire aux organismes complexes? Quelles sont les fonctions précises de ces 38 gènes?

Avant la découverte de la méthode des mutations dirigées, on ne pouvait répondre à aucune de ces questions, car on ne disposait d'aucune souris présentant une mutation d'un gène Hox. Aujourd'hui nous cherchons à établir systématiquement la fonction de tous les gènes Fox, dans le dessein de préciser ultérieurement le réseau des interactions qui commandent le développement des organismes.

L'inhibition spécifique du stène HoxA 3 semble avoir plusieurs conséquences néfastes. Les souris dont les deux copies de ce gène sont mutées meurent à la naissance, parce que leur appareil cardio-vasculaire est incomplètement développé et déficient. Plusieurs autres tissus et organes sont également anormaux: le thymus, les glandes thyroïde et parathyroïde. les os, les cartilages de la région inférieure de la tête, ainsi que les tissus conjonctifs, les muscles et les cartilages de la gorge.

En théorie, la méthode des mutations dirigées devrait affiner la méthode d'insertion des gènes de remplacement. Toutefois, avant de l'utiliser pour corriger un gène défectueux, ceux dans les tissus atteints d'un patient, les généticiens devront obtenir des cultures de cellules capables de participer à la formation de ces tissus chez l'adulte. De telles cellules souches sont présentes dans la moelle osseuse, dans les poumons, dans la peau, dans les intestins et dans divers tissus, mais on ne sait pas encore les isoler ni les cultiver.

 

La méthode des mutations dirigées sera certainement perfectionnée, mais elle permet déjà de manipuler le génome des mammifères d'une façon que l'on n'aurait pu imaginer il y a seulement quelques années. La méthode des mutations dirigée augmente les possibilités du génie génétique, dont les limites sont aujourd'hui surtout d'ordre intellectuel.

 


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